De la maison des morts

Opéra en trois actes

Livret : Leoš Janácek d’après Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski

Direction musicale : Pierre Boulez
Mise en scène : Patrice Chéreau
Collaboration artistique : Thierry Thieû Niang
Scénographie : Richard Peduzzi
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumières : Bertrand Couderc

Réalisation :  Stéphane Metge
Chef Opérateur : Raphaël Bauche
Montage : Gabriel Humeau

Diffusion : ARTE
DVD : Deutsche Grammophon

 

Grand retour d’un duo miraculeux, faiseur de magie et d’enchantements hier à Bayreuth (1976, Le Ring), à Paris (Opéra Garnier, 1979). Près de 30 ans après ses premiers accomplissements, revoici l’équipe Pierre Boulez et Patrice Chéreau. Un retour qui sonne comme un adieu, tout au moins concernant Boulez qui a confirmé qu’après cette Maison crépusculaire, il ne dirigerait plus d’opéras. C’est bien sûr Stéphane Lissner qui est l’initiateur de ce projet mémorable qui conclue un travail de longue haleine sur Janacek, génie de l’opéra en langue tchèque: Jenufa (1996, Rattle/Braunschweig), La Petite renarde rusée (Mackerras/Hynter/Gallotta), L’Affaire Makropoulos (2000, Rattle/Braunschweig, Aix en Provence)… Pour cette production, ont collaboré aussi Richard Peduzzi (décors) et Thierry Thieû Niang (participation à la mise en scène de Patrice Chéreau).

Huit clos masculin
Peduzzi insiste sur l’enfermement, l’oppression d’un horizon bouché. Tout revient, tout converge et retombe sur les profils des prisonniers. Des êtres accablés, auxquels aucune perspective n’est possible et dont les gestes, le caractère des mouvements et des confrontations, la chorégraphie des postures offrent une palette d’émotions et de tempéraments fortement individualisés, permise par l’alliance du metteur en scène Patrice Chéreau avec son « assistant », Thierry Thieû Niang, chorégraphe de formation. Or cette fluidité dans le déroulement scénique efface avec éloquence la succession des monologues et récits que portent chaque expérience et chaque histoire ainsi « déballées »(en particulier dans le troisième et dernier acte où prime le récit de Chichkov). Les bagnards synthétisent toutes les vies brisées, sacrifiées, fourvoyées. L’ombre glaçante des pires horreurs de l’histoire des hommes s’accomplit sur la scène avec une crudité parfois insoutenable: le cri déchirant d’humanité n’en a que plus de grandeur et d’intensité.
Le propre de l’opéra de Janacek est de peindre des victimes ou des bourreaux et de toujours conserver un regard humain sur leur expérience. Théâtre dans le théâtre, ici se joue l’avenir dérisoire des condamnés sans espoir d’être libérés. Ils sont spectateurs et juges, témoins et agresseurs de leurs frères de cellules, de chaînes, de galère. Le huit clos strictement masculin (puisque contrairement au voeu de Janacek, le rôle d’Alieia est chanté non par une femme mais un ténor), s’épuise, s’exaspère dans un ténébrisme captivant. Même si les âmes opprimées savent soigner et libérer l’aigle blessé, comme le signe d’un envol prochain, promis à tous, la fin du spectacle se pose comme une énigme: cette humanité qui a perdu sa foi humaniste a-t-elle réellement un avenir? A vrai dire, la musique de Janacek sous la baguette intègre et analytique de Pierre Boulez renforce sa nature mystérieuse et sauvage, un primitivisme âpre et nostalgique qui n’a rien de la pose rythmique et élégante d’un Strawinsky par exemple. De ce point de vue, la baguette du chef français, calculée et intellectuelle, ne va pas aussi loin dans la noirceur brute que Charles Mackerras par exemple, qui en impose tout autant par son engagement physique.